Commun

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Le Livre

* Book: Commun: essai sur la revolution au XXIème siècle. Pierre Dardot and Christian Laval.

URL = http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-commun-9782707169389.html

In English: Common: An Essay on Revolution in the 21st Century


Description

"Partout dans le monde, des mouvements contestent l’appropriation par une petite oligarchie des ressources naturelles, des espaces et des services publics, des connaissances et des réseaux de communication. Ces luttes élèvent toutes une même exigence, reposent toutes sur un même principe : le commun.

Pierre Dardot et Christian Laval montrent pourquoi ce principe s’impose aujourd’hui comme le terme central de l’alternative politique pour le XXIe siècle : il noue la lutte anticapitaliste et l’écologie politique par la revendication des « communs » contre les nouvelles formes d’appropriation privée et étatique ; il articule les luttes pratiques aux recherches sur le gouvernement collectif des ressources naturelles ou informationnelles ; il désigne des formes démocratiques nouvelles qui ambitionnent de prendre la relève de la représentation politique et du monopole des partis.

Cette émergence du commun dans l’action appelle un travail de clarifi cation dans la pensée. Le sens actuel du commun se distingue des nombreux usages passés de cette notion, qu’ils soient philosophiques, juridiques ou théologiques : bien suprême de la cité, universalité d’essence, propriété inhérente à certaines choses, quand ce n’est pas la fin poursuivie par la création divine. Mais il est un autre fil qui rattache le commun, non à l’essence des hommes ou à la nature des choses, mais à l’activité des hommes eux-mêmes : seule une pratique de mise en commun peut décider de ce qui est « commun », réserver certaines choses à l’usage commun, produire les règles capables d’obliger les hommes. En ce sens, le commun appelle à une nouvelle institution de la société par elle-même : une révolution." (http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-commun-9782707169389.html)

Critique

Benjamin Coriat:

"Quant à Dardot et Laval, il faut, je pense, qu’ils lèvent les ambiguïtés, pour certaines lourdes et pesantes, qui perdurent dans leurs écrits.

C’est qu’en effet on trouve un peu tout dans leur ouvrage, dont une énorme partie est une suite de fiches de lecture sans que l’on sache toujours dans ce qu’ils présentent ce qu’ils font leur et assument pour leur propre compte, et ce dont ils ne font que rendre compte. Il en est souvent de même de la deuxième partie de leur ouvrage, même si celle-ci est plus nettement « propositionnelle ». Ceci posé, si l’on va à l’essentiel, il semble bien que nos auteurs penchent pour une définition du commun entendu avant tout comme ce qui relève de « l’inappropriable » ; dans cet esprit le droit fondamental qu’ils souhaitent voir attribuer aux commoners tient dans ce qu’ils désignent comme un « droit d’usage ». Cette vison des communs présente à mon sens plusieurs limites et problèmes.

Sur le plan « descriptif » elle est extraordinairement réductrice, en annulant la très grande pluralité des formes à travers lesquelles se donnent les communs, comme la variété des droits (à travers les faisceaux de droits mis en place) que s’attribuent et se partagent les commoners. Ici le commun est une pêcherie avec accès réservé aux riverains, alors que plus loin c’est la mer elle-même qui est ouverte à tous si du moins les pêcheurs respectent les règles posées par les commoners. Ailleurs c’est à un accès partagé, universel et non restreint à une base de données (OpenStreetMap, Wikipedia) qui est la règle. Dans d’autres cas encore, l’accès est ouvert mais dans des conditions qui varient suivant la nature et le contenu des licences creative commons définies par ceux qui ont déposé les images (cas de la base de données de photographie Flickr). Enfin nombre de communs orientés vers la recherche et l’innovation (plateformes collaboratives de recherche…) sont réservés à des ayants droit ayant décidé de coopérer et de partager leurs travaux, alors que la plupart des journaux scientifiques qui se créent aujourd’hui sur le web, proposent un accès ouvert non borné. Pourquoi réduire tout commun à un couple inappropriable/droit d’usage ? Laissons vivre et se développer les communs ! J’ai envie de dire : que cent écoles rivalisent !... que cent fleurs s’épanouissent !... Au demeurant la théorisation proposée par Dardot et Laval (et dont ils font grand cas), penser le commun, et non les communs dans leur diversité est pour moi hautement problématique.

Sur le plan normatif, le couple (inappropriable/droit d’usage) est, disons-le, inquiétant. Bien que les auteurs s’en défendent, ce couple fait irrésistiblement penser au « vieux communisme », celui qui est définitivement mort, au plus tard à Berlin en 1990. En effet il suffit de mettre « socialisation des moyens de production et de vie» ou « propriété publique » à la place de inappropriable et « souveraineté populaire » (comme dans feu les démocraties du même nom) à la place de « droit d’usage » et nous voici rebouclés dans une histoire morte et enterrée. Une histoire d’échecs et de malheurs. Bien sur Dardot et Laval ont en tête une version largement révisée de tout cela. Une version en quelque sorte « conseilliste ». Mais leur refus obstiné de considérer que la propriété n’est pas le mal absolu, qu’elle peut revêtir une dimension « inclusive » (et non nécessairement et toujours exclusive), et leur hypostasie de la notion de « droit d’usage », pensé comme substitut à la propriété (et non comme un de ses attributs), tout cela nous plonge dans un univers singulièrement restrictif, à mille lieues de la réalité et de la vitalité des communs « réellement existants » et des promesses dont ils sont porteurs.

M’inquiète aussi terriblement qu’en Italie, certains auteurs, liés au mouvement des communs parlent désormais ouvertement et tranquillement de « beni-comunisti » (biens-communistes !...) à propos des biens communs. On ne peut je crois commettre plus tragique erreur que de ramener la vitalité, la puissance et la force du mouvement autour des biens communs, leur originalité et nouveauté historique irrépressibles, à cette histoire d’échecs et de défaites qu’a été le communisme depuis au moins les années 1970.

Je voudrais me tromper mais il faut que Dardot et Laval soient définitivement plus clairs. Et, à mon sens, ce n’est pas en portant l’accent sur ce qui est supposé constituer le commun, ou « l’agir commun », plutôt que sur les communs, la diversité de leurs formes institutionnelles (et donc juridiques), qu’ils mettront fin à l’ambiguïté." (Ne lisons pas les communs avec les clés du passé. Entretien avec Benjamin Coriat)


Interview

Interview de Christian Laval par par Claire Brossaud :

  • Quelle distinction faites-vous entre « les communs » et « le commun » ?

Christian Laval: Les « communs » viennent du réinvestissement par les mouvements écologistes, altermondialistes et universitaires de la catégorie anglo-saxonne de commons. On a, jusqu’à très récemment, traduit en français commons par « biens communs », mais comme je viens d’essayer de le montrer, cette traduction renvoie à une conception limitative à laquelle ces mouvements ne se réduisent pas eux-mêmes.

Le terme français qui se rapproche à mon sens le plus justement de la signification anglo-saxonne de commons serait celui de « communaux ». De quoi s’agit-il ? De pratiques collectives rurales régies par des droits coutumiers : glanage, pâturage, ramassage de champignons…, toutes ces pratiques qui permettaient aux villageois pauvres de continuer à vivre. Les communaux ont été liquidés par la révolution bourgeoise de la propriété absolue à partir du XIIe siècle en Europe. Or c’est bien sur l’histoire de ces enclosures que les récents mouvements des communs (ou commons) ont fait retour, en disant : « ce qu’on est en train de liquider, avec le néolibéralisme, ce sont les derniers vestiges des communs, ce que la bourgeoisie n’a pas complètement éliminé depuis la fin du Moyen Âge ».

Ce qui a finalement donné à mon sens la force de propulsion et de conviction à l’usage du terme de commons est qu’il pouvait désigner des pratiques coopératives et collectives d’un nouveau genre. La référence aux commons permet la conjonction entre les vieux communs dits « naturels » – liés à l’usage collectif de ressources naturelles – et la construction de nouvelles institutions encadrant des pratiques elles-mêmes nouvelles. C’est ce qu’on voit en particulier dans le domaine du numérique, par l’usage des réseaux notamment et la généralisation de la collaboration en ligne qu’ils facilitent. En français, le terme de « communs » permet de désigner des réalités à la fois anciennes et nouvelles, c’est-à-dire des pratiques collectives de coactivité autogérées, produisant des biens et services destinés à l’usage commun, et contenant une très forte dimension d’inappropriabilité.


  • Qu’est-ce qui fait, selon vous, du « commun » un principe politique désormais possible ?

La question qui se pose est de savoir si « le commun » est un principe politique permettant de penser la réorganisation de la société. Le modèle dans lequel nous vivons est sans doute arrivé à ses limites. Ce modèle, que l’on peut qualifier de néolibéral, est celui de la concurrence généralisée pour l’appropriation des ressources, du vivant, de la connaissance et du principe de vie qui lui est associé. Il existe une réaction extrêmement dangereuse à ce modèle, qui est le contre-modèle identitaire ou communautaire – un « mauvais commun », si je puis dire, à la fois réactif et réactionnaire. Très différent de cette régression s’est dessiné un paradigme révolutionnaire du commun. Parler de révolution, ce n’est pas évoquer la prise du palais d’Hiver ou les barricades, mais, pour reprendre Castoriadis, c’est faire référence à une réinstitution de la société. Et c’est à mon sens ce qui est en train de s’opérer de façon moléculaire, pour emprunter cette fois-ci une expression à Guattari. Une révolution moléculaire s’opère par la multiplication, la diversification, la diffusion d’autres modes d’habiter, de travailler, de consommer, de vivre le territoire, d’éduquer, etc. Il me semble que l’on peut extraire de l’histoire des communs et de la mobilisation actuelle autour des communs un principe politique au singulier : le principe du commun. Il consiste à instituer des modes d’agir démocratiques, visant systématiquement l’usage commun et non l’appropriation. Donc agir démocratiquement, pour l’usage commun des ressources, en produisant par là démocratiquement le bien commun au singulier, voilà en quoi consiste ce processus révolutionnaire. À partir de là, poser « le commun » comme un principe politique possible, de réorganisation de la société possible, me semble une idée à mettre en débat." (http://www.metropolitiques.eu/Aux-racines-des-communs.html)

More Information

Le concept

Etymologie

Christian Laval:

« Commun » est un terme qui vient du latin, mais ses significations sont finalement encore plus lointaines et peuvent en particulier être rattachées à la coproduction du « vivre ensemble ». Le linguiste et historien Émile Benveniste, dans son vocabulaire des institutions indo-européennes, faisait grand cas de l’expression cum-munus d’où vient le mot « commun ». Munus signifie, dans le domaine politique, l’obligation, la charge, le don, cum-munus désignant ainsi la co‑obligation qui nous engage les uns vis-à-vis des autres du fait de vivre ensemble dans la même cité. On peut aussi citer Aristote, pour qui « vivre ensemble », c’est agir ensemble. Cette co‑obligation contenue dans le terme « commun » exprime donc véritablement le dynamisme, le ressort politique de la vie collective, et engage une perspective démocratique : la coexistence et la coactivité supposent également que nous décidions ensemble, que nous élaborions ensemble les lois et les règles de vie collective. Commun, dans les racines mêmes de notre langage courant, c’est donc d’abord ça : un agir commun.

Le mot contient aussi toute une histoire urbaine, particulièrement signifiante en Italie : dans la langue italienne, comune désigne à la fois la commune et le commun, et ce rapprochement linguistique témoigne d’une réalité historique qui peut expliquer l’avance qu’a prise sur nous l’Italie dans toute la réflexion et la pratique du commun. En France, nous avons un peu perdu le sens de cette proximité directe entre « le commun » et « le territoire local », même s’il est revenu par moments dans l’histoire : sans parler des insurrections urbaines et de la révolution communale du XIIe siècle, je pense au communalisme proudhonien, qui inspira les communards de 1871 à faire de la commune – c’est-à-dire de l’entité politique locale – le lieu de l’autogestion, de l’autogouvernement. Nous sommes le produit de toute cette histoire urbaine, et pas seulement rurale." (http://www.metropolitiques.eu/Aux-racines-des-communs.html)


Histoire

Christian Laval:

"Comment le droit romain permet-il également de mieux comprendre ce qui relève du « commun » ?

Les Romains distinguaient deux catégories : la res publica et la res communis. La première concernait des choses comme le trottoir, la fontaine, les bains, le Colisée, considérées comme publiques car appartenant à l’État. La seconde relevait de choses comme la mer, l’air, le rivage, considérées comme insaisissables, mais naturellement d’usage commun. Pour simplifier, la res publica incarnait des choses qui pour être communes ne l’étaient pas par nature mais du fait de l’invention humaine, c’est-à-dire produites par le droit ; et c’est le droit, en les instituant comme propriété de l’État, qui les rendaient inappropriables par des particuliers. La res communis engageait une autre forme d’inappropriabilité, à la lisière du droit : c’est parce qu’elles échappaient à l’institution humaine que les choses communes des Romains étaient « naturellement » inappropriables. La res publica nous est plus familière, mais nous sommes aussi redevables de la res communis, qu’on retrouve dans notre Code civil : à l’article 714, les choses communes y sont définies comme celles « qui n’appartiennent à personne et qui sont d’usage commun ». Mais cela reste une catégorie étrange, dont les juristes ne savent pas très bien quoi faire, au sein d’un code civil entièrement structuré autour de la propriété.

On a eu ainsi tendance à confondre la chose commune et la chose publique, et c’est aussi la raison pour laquelle l’expression de bien commun – plutôt que de commun – est à mon sens trop réifiante, trop « chosifiante ». En réduisant le « commun » au « bien commun », on rabat en réalité le commun non pas sur l’agir commun, c’est-à-dire sur la co‑obligation liée à la coexistence et à la coactivité, mais sur des choses qui seraient plus ou moins naturellement communes. Or cette catégorisation pose problème : elle limite d’emblée le commun à ce qui est déjà défini comme commun, en excluant le rôle des décisions politiques par lesquelles des choses sont déclarées communes – ce dont témoigne l’histoire. C’est pourquoi, tout au long de notre livre, nous tenons, avec Pierre Dardot, à affirmer qu’il faut éviter la chosification du commun." (http://www.metropolitiques.eu/Aux-racines-des-communs.html)